Les débits des cours d'eau
Avertissement
Les débits utilisés pour ce dossier ont été extraits au début du mois d'octobre 2022. Les services gestionnaires qui produisent ces débits ne disposent pas toujours des jaugeages nécessaires à l’établissement d'une courbe de tarage valide pour les hauteurs les plus basses ou ils ne les ont peut-être pas encore intégrés. Donc les valeurs présentées ici sont pour beaucoup provisoires car elles seront éventuellement modifiées dans les mois à venir. La validité des débits d'étiage en temps réel représente une difficulté réelle pour l'hydrologue qui souhaite réagir "à chaud". Nous tenterons de corriger les valeurs de débits lors des mises à jour des courbes de tarage par les services gestionnaires.
Introduction
Nous avons pris le parti de situer l'étiage 2022 par rapport à des étiages historiques. Certains, tels que 1976 ou 2003, ont marqué l'opinion publique car la presse a régulièrement évoqué l'état de sécheresse ou la canicule et leurs conséquences : un impôt désigné "impôt sécheresse" destiné à soutenir les agriculteurs pour le premier, une mortalité excessive des personnes âgées pour le second. Outre ces événements, d'autres étiages ont atteint des niveaux particulièrement bas sans pour autant provoquer un écho important dans les médias.
Pour ce dossier, nous nous sommes appuyés sur un réseau de stations hydrométriques disposant de longues séries de données. Celles-ci peuvent être regroupées en fonction des chroniques de débits d'étiage qu'elles ont enregistrés pour aboutir à une première régionalisation. Puis l'étiage 2022 sera situé par rapport aux étiages antérieurs et analysé à l'échelle journalière. Enfin nous aborderons la tendance récente des débits d'étiage qui diminuent significativement pour certaines stations.
1. Données utilisées
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Pour caractériser les étiages des 50 dernières années, nous avons choisi d'utiliser les valeurs de QMNA soit le débit moyen mensuel le plus faible de chaque année. Cette variable est régulièrement employée en France pour les étiages (Delus C., 2011). Nous nous appuyons sur un réseau de 87 stations présentant des séries de données suffisamment longues (Cf. Carte ci-contre). L'étiage 2022 n'est pas étudié ici dans son intégralité. Nous avons extrait les données jusqu'au 30 septembre 2022. |
2. Régionalisation des stations hydrométriques en étiage
À l'échelle des 30 000 km² des bassins français de la Meuse et du Rhin, il existe des nuances dans l'intensité des étiages mesurés aux différentes stations hydrométriques sélectionnées. Pour montrer ces nuances nous proposons une régionalisation des stations. Elle procède de méthodes de classification automatique des données qui permettent de regrouper des séries d'observations en fonction d'un indice de similarité. Dans le cas présent le rang des QMNA de chaque année de 1971 à 2022 classés par ordre croissant : le QMNA le plus faible a le rang 1, le plus élevé le rang 52. L'utilisation du rang des valeurs permet de s'affranchir des valeurs elles-mêmes et ainsi du facteur d'échelle associé aux débits. La matrice que nous avons traitée comprend donc 87 lignes (stations) et 52 colonnes (années) avec des valeurs comprises entre 1 et 52.
Le paramétrage de ces méthodes peut aboutir à des partitions très différentes. C'est pourquoi plusieurs essais ont été menés et certains groupes sont apparus régulièrement. Le regroupement de stations retenu rend compte des associations persistantes que nous avons pu constater. Il est issu d'une classification hiérarchique ascendante par la méthode de Ward qui privilégie la cohérence globale des groupes.
2.1. Arborescence
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Cinq groupes résultent de cette classification (Cf. graphique ci-dessus) avec des effectifs allant de 8 à 24 stations. Cette classification s'organise autour de trois groupes principaux les 2, 3 et 5 qui rassemblent plus des trois quarts des stations. Le groupe 5 est le plus cohérent, il s'assemble relativement tôt et s'agrège en dernier au reste de l'arbre. Si on cherche à simplifier cette classification, on peut associer d'une part les groupes 1 et 2 et d'autre part les groupes 3 et 4.
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2.2. Répartition spatiale
Il existe une cohérence spatiale dans la partition proposée par la classification automatique :
- le groupe 3 regroupe essentiellement des stations localisées à l'ouest (bassin de la Meuse et ouest du bassin de la Moselle),
- le groupe 2 concerne les cours d'eau du plateau lorrain dans le bassin de la Moselle et ceux du nord de l'Alsace,
- le groupe 5 s'étend principalement sur le massif vosgien et par extension vers les stations installées sur les cours de la Moselle en aval,
- le groupe 4 rassemble les stations qui subissent des influences anthropiques, notamment des soutiens d'étiage auxquelles s'ajoutent des stations du sud de l'Alsace,
- le groupe 1 comprend peu de stations et il est difficile de lui attribuer une région ou un type de cours d'eau particulier.
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2.3. Différenciation des groupes
Les courbes des rangs moyens par groupe décrivent des évolutions comparables
Quel que soit le groupe considéré, les étiages les plus marquants (1976, 2003 ou 2022) apparaissent bien comme des minimums. On remarque cependant quelques nuances souvent liées aux oppositions entre les groupes 3 et 5 (ouest du bassin versus massif vosgien) :
- 1976 est plus sévère pour le groupe 3 que pour le groupe 5 et 2003 est particulièrement grave dans les Vosges (groupe 5),
- 1985 n'est pas un étiage sévère pour le groupe 3,
- 1996 affecte surtout le groupe 3,
- pour le groupe 5, les étiages à partir de 2013 paraissent plus marqués qu'ailleurs notamment par rapport au groupe 3 (stations situées à l'Ouest) alors qu'au début de la période, c'est l'inverse,
- les rangs moyens des étiages du groupe 4 (stations influencées) montrent l'effet modérateur des soutiens d'étiage (Meurthe, Avière, Ill, ...).
On retiendra de cette régionalisation que la sévérité des étiages diffère peu à l’échelle des bassins que nous étudions. Dans le détail, les stations du massif vosgien se différencient des autres avec une succession d'étiage un peu plus sévères qu’ailleurs depuis 2013.
3. L'étiage 2022
Pour caractériser l'étiage 2022, nous conservons dans un premier temps les données mensuelles puis nous examinons dans le détail le déroulement de l'événement à l'échelle journalière.
3.1. Rang du QMNA 2022 au sein de la période 1971-2022
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Le QMNA 2022 constitue le minimum absolu sur les 52 années de la période 1971-2022 pour plus d'un quart des stations étudiées (23 sur 87). Pour plus de la moitié des stations, il se classe entre le premier et le troisième rang. Il apparaît donc bien comme un événement particulièrement sévère. Son extension spatiale reprend des caractéristiques déjà évoquées au sujet de la régionalisation. Comme indiqué dans le préambule les valeurs de certaines stations sont "surprenantes" et seront vraisemblablement amenées à être corrigées. Le bassin de la Moselle ainsi que le nord de l'Alsace semblent avoir été les plus sévèrement affectés. L'ouest de la région et le sud de l'Alsace ont, quant à eux, connu par le passé des étiages plus marqués.
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3.2. L'étiage 2022 en comparaison des étiages les plus sévères depuis 1971
La comparaison de l'étiage 2022 avec les étiages antérieurs se poursuit à l'échelle journalière. Pour chaque station une fiche a été élaborée. Elle se compose de 4 parties :
- les hydrogrammes annuels correspondant aux trois étiages les plus sévères enregistrés à la station comparés à celui de 2022
- les valeurs des QMNA les plus bas représentées le long d'un axe
- des statistiques relatives aux hydrogrammes décrits en 1 : rang du jour où le débit est passé sous la valeur du QMNA 1/2, 1/5, 1/10, volume sous les valeurs de QMNA fréquentiels, etc
- une heatmap représentant la fréquence du débit moyen journalier : chaque jour calendaire a été trié de 1971 à 2022, tous les 1er janvier puis 2 janvier ... jusqu'au 31 décembre, une fréquence a été attribuée à chaque jour soit son rang (ordre croissant) divisé par 52 (nombre d'années). Chaque cellule correspond donc à un jour et sa couleur est d'autant plus chaude que sa fréquence est faible, donc les débits les plus bas d'une journée sont en rouge très foncé et à l'inverse les fréquences élevées apparaissent en blanc. Pour bien mettre en évidence les fréquences les plus faibles le dégradé de couleur est déployé sur une échelle logarithmique. Pour la bonne interprétation de ce graphique, il faut bien considérer que ce sont les fréquences par rapport à l'ensemble des QMJ du même jour qui sont symbolisées sur la heatmap. Une couleur rouge foncé pour un 1er janvier ne signifie pas qu'il s'agit d'un débit très bas mais que le débit est bas pour un 1er janvier. Pour ce qui concerne les étiages, il faut surtout s'intéresser aux cellules de la période de basses-eaux : de mai à octobre.
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Les fiches relatives à chaque station peuvent être consultées via la carte interactive ci-contre.
Ces fiches restituent à l'échelle journalière les observations effectuées plus haut, notamment la fiche de la station de la Moselle à Fresse rend bien compte du caractère particulièrement sévère des étiage récents (depuis 2019) dans les Vosges. Dans le bassin de la Meuse la fiche de la station de Saint-Mihiel illustre une chronique d'étiage différente avec l'année 1976 qui demeure le minimum absolu.
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Afin d'avoir une vision plus synthétique de la sévérité des étiages et leur expansion, nous avons choisi les 4 événements les plus marquants des 50 dernières années : 1976, 2003, 2020 et 2022. Pour chaque jour des années sélectionnées, nous avons dénombré le nombre de stations où le débit moyen journalier (QMJ) :
- est inférieur aux QMNA de fréquence 1/2, 1/5, 1/10, 1/20 et 1/50,
- constitue le minimum du jour.
Bien qu'on ne dispose pas encore de toutes les données pour l'étiage 2022, il apparaît qu'avec 1976 ils représentent les épisodes les plus sévères depuis 1971 :
- 1976 se caractérise par sa précocité et sa durée. Pour environ 20% des stations, les débits du printemps n'ont jamais été aussi secs. Puis dès la mi-juin, 40% des stations enregistrent des écoulements inférieurs au QMNA 1/10 et on atteint 60% au début du mois de juillet. Après une interruption pendant la deuxième quinzaine de juillet cette situation va s'aggraver (80% des stations avec des débits inférieurs au QMNA 1/10) et se prolonger jusqu'au début du mois de septembre. À la fin de ce mois on retrouve des conditions encore très sèches (40% des stations où QMJ<QMNA 1/10) qui vont s'améliorer très graduellement jusqu’au mois de décembre.
- Pour 2022 l'étiage est particulièrement grave de la mi-juillet à la mi-août où 70% des stations connaissent des débits inférieurs au QMNA 1/10. Fin août, on retrouve un nombre élevé de stations mesurant des débits très faibles (60% des stations où QMJ<QMNA 1/10). Depuis la gravité de l'étiage diminue lentement avec encore une rechute pendant la deuxième quinzaine de septembre.
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- 2003 et, dans une moindre mesure, 2020 apparaissent moins graves. En 2003 la période critique concerne surtout le mois d'août et la deuxième quinzaine de septembre où on dépasse à peine 40% des stations avec des débits inférieurs au QMNA 1/10. Pour 2020 la gravité et la durée de l'étiage est plus conséquente avec une situation qui s'aggrave régulièrement de fin juillet à fin septembre avec respectivement de 40 à 70% des stations présentant des débits inférieurs au QMNA 1/10. Cet étiage s'interrompt subitement fin octobre.
3.3. Variabilité de l'étiage 2022 dans les bassins français de la Meuse, de la Moselle et du Rhin
Comme cela a déjà été exposé pour la succession des QMNA de la période 1971-2022, il existe des nuances dans la gravité de l'étiage 2022 à l'échelle des bassins français de la Meuse, de la Moselle et du Rhin. Pour représenter ces différences nous avons extrait des heatmaps de chaque station (Cf. 3.2.) la ligne correspondant à 2022. On obtient ainsi une nouvelle heatmap qui ne concerne que 2022 et où les stations, désignées par leur code hydro, apparaissent en ligne et les jours en colonne. Les stations sont triées par ordre croissant selon leur code hydro, ce qui permet de "regrouper" les stations géographiquement proches.
Ce mode de représentation permet d'examiner l'étiage de 2022 dans sa globalité avec les éventuelles nuances, ou différences nettes, entre les stations. La sévérité de l'étiage s’étend à la quasi totalité des bassins et des fréquences très faibles apparaissent en juillet et en août. Trois phases se distinguent avec :
- des débits très bas pour la saison au mois de mars,
- un premier épisode très sec à la mi-juin, interrompu à la fin du mois,
- un second épisode beaucoup plus long : du début du mois de juillet à mi-août, où les fréquences sont particulièrement faibles avec souvent des valeurs minimums atteintes.
Au mois de septembre (2ème quinzaine), il demeure des cours d'eau où la fréquence des QMJ reste très basse.
Sur cette heatmap, des stations semblent un peu moins affectées par la sécheresse hydrologique. Nous avons donc régionalisé les fréquences des QMJ en employant les mêmes méthodes que dans le paragraphe 2. , ci-dessus (classification automatique des lignes de la heatmap).
Nous avons retenu 4 classes qui regroupent les stations en fonction du degré de sévérité des fréquences des QMJ au cours de l'année 2022 (interrompue en octobre). Le groupe 1 rassemble les stations où les fréquences sont les plus basses puis graduellement les groupes 2 à 4 réunissent les stations de moins en moins impactées par la sécheresse.
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- Le groupe 4 est le plus petit groupe et également le plus dispersé. Il correspond aux stations influencées ou celles pour lesquelles on suppose un problème d'hydrométrie. L'étiage 2022 est apparaît très peu marqué.
- À l'inverse le groupe 1 désigne les stations les plus affectées par la sécheresse. Elles se situent presque exclusivement dans le Massif Vosgien.
- Les stations du groupe 2 se répartissent surtout au centre à l'est de la région étudiée (Plateau Lorrain et Alsace).
- Le groupe 3 occupe surtout l'ouest de la région (bassin de la Meuse et aval du bassin de la Moselle). C'est sur ces zones que l'étiage 2022 a été le moins sévère.
D'une manière générale, cette régionalisation n'est pas très éloignée de celle exposée en 2.2. relative aux séries de QMNA. |
Conclusion
L'étiage 2022 représente un étiage particulièrement sévère comparable à celui de 1976. Pour certaines stations (23 sur 87) il constitue un minimum absolu depuis 1971. Il se caractérise surtout par des débits très faibles au mois de juillet et août. L'étiage 1976 s'en distingue par une durée beaucoup plus longue. Les autres étiages de la période n'ont pas égalé des niveaux aussi bas.
La régionalisation des étiages (QMNA) et plus spécifiquement celle de 2022 aboutit au constat d'une répartition relativement stable de la gravité des étiages autour de deux régions. L'ouest a subi plus durement l'étiage de 1976 alors que les stations situées dans le massif vosgien ont été plus sensibles aux étiages récents apparus après 2015, notamment 2022.
Cette analyse offre à notre laboratoire de belles opportunités de recherches portant sur la genèse des étiages ou la répétition d'étiage très sévères ces dernières années dans les Vosges.